Le succès croissant du newtonisme en France après 1740 entraîne un changement significatif dans les critères d'accès au débat scientifique entre savants institutionnels, notamment les académiciens. Ces critères deviennent de plus en plus stricts, imposant l'usage de concepts et de techniques mathématiques qu'on considère désormais comme essentiels pour l'étude de la physique. Une conséquence majeure de ce développement est l'exclusion progressive, dans la vie savante, des auteurs qui ne maîtrisent pas suffisamment les mathématiques ou qui n'en font qu'un usage limité dans leur pratique de recherche. Cela concerne en particulier les savants proches des traditions cartésienne et malebranchiste, progressivement marginalisés des cercles académiques et, plus généralement, de la « république des sciences » française. Ces savants ne cessent pas pour autant de contester la physique mathématisée promue par les newtoniens. Ils dénoncent l'abus de mathématiques, qui conduit selon eux à la formulation de théories philosophiques inintelligibles, voire aberrantes, comme celle d'une force attractive agissant à distance à travers le vide. Cette communication propose une histoire croisée de l'antimathématisme et de l'antinewtonisme, en explorant l'évolution de ces discours à mesure que leurs auteurs étaient marginalisés au sein de la communauté savante. On observe notamment une radicalisation de la polémique et une revendication de plus en plus explicite de l'ignorance en mathématiques. Mon hypothèse est que cela représente non seulement un positionnement épistémique, mais aussi un geste politique : il s'agit de résister à l'hégémonie des « experts » et de proposer des modèles culturels alternatifs. Les exemples analysés incluront Massière, auteur mystérieux des Réflexions critiques sur le système de l'attraction (1759), et Jacques-Charles-François de La Perrière de Roiffé (1694-1776), philosophe naturel excentrique et satiriste.