Souvent méconnues, essentialisées à leur dimension purement programmatique, les tours hertziennes bâties en Europe dès 1949 et jusqu'à la moitié des années 1980 constituent les témoins physiques d'une histoire invisible. Cette histoire est celle d'une expérimentation d'entre-deux guerre qui aboutit à l'invention d'une technologie de télécommunication qui réinvente le principe du télégraphe optique développé à la fin du XVIIIe siècle : le faisceau hertzien. Un usage militaire est initialement privilégié mais les applications civiles potentielles, allant de la télévision naissante à la téléphonie incarnent la promesse d'une nouvelle ère, celle de l'information. Les pays industrialisés initient alors la construction de réseaux qui se déploient dans le territoire en suivant des stratégies qui leur sont propres. Le développement des réseaux hertziens coïncide et participe d'un conflit d'un genre nouveau qui oppose les idéologies de l'ouest et de l'est, la Guerre Froide. Au même titre que l'armement ou le spatial, les télécommunications deviennent le relai direct des idéologies, servant à propager les informations et donc les idées. Au-delà de l'aspect purement technique, le vocabulaire architectural que les tours hertziennes déploient participe du « soft-power » de cette guerre idéologique. Ce caractère idéologique devient alors le moteur d'une quête permanente de modernisation, d'optimisation puis de démonstration de la technologie hertzienne.
Si la plupart des supports architecturaux sont des structures métalliques, les réalisations plus imposantes exploitent les techniques de construction en béton armé. Qu'il s'agisse de l'expérimentation initiée dès 1949 par l'architecte Pol Abraham pour inventer la « première » tour hertzienne en France ; ou de l'invention par l'ingénieur Fritz Leonhardt d'une typo-morphologie qui devient la norme mondiale lors de la réalisation à Stuttgart en 1956 d'une tour en d'un genre nouveau, l'architecture des tours hertziennes relèvent elle aussi d'une expérimentation permanente.
La réalisation à Londres de la General Post Office Tower entre 1959 et 1966 s'empare du modèle inventé par Leonhardt et sert d'expérimentation pour la réalisation d'immeubles de grande-hauteur amenés à se développer dans le pays. En France, le développement du réseau hertzien connaît une période de ralentissement ce qui n'empêche pas à la technologie de continuer à évoluer. La spécialisation autour des télécommunications de l'ouest breton amène à la construction en 1963 par Henri Guibout d'une tour hertzienne à Lannion, spécialement destinée à l'expérimentation des nouveaux faisceaux hertziens qui permettront la modernisation du réseau français au tournant des années 1970.
La modernisation du VIe plan amorce le développement des autoroutes électroniques qui connecteront les grandes villes qui se dotent alors de leur tour hertzienne, ces monuments doivent répondre à l'enjeu de la modernité qu'elles sont censées incarner. Les concepteurs rivalisent de créativité pour mettre au point des architectures uniques à l'aide de techniques de constructions qu'ils vont parfois chercher loin. Qu'il s'agisse des coffrages que l'entreprise Demay Frères fait venir d'Allemagne pour la tour de Villeneuve-d'Ascq ou encore Claude Vasconi qui fait appel à la société suédoise Bygging-Uddemann pour hisser les salles annulaires construites au sol en haut du fût, les chantiers des tours hertziennes deviennent eux-mêmes des lieux d'expérimentation de techniques constructives.
Le développement à la fin des années 1970 d'autres technologies, telles que la fibre optique ou les satellites de télécommunication condamnent le faisceau hertzien à l'obsolescence – ou presque – au tournant des années 1990. Se pencher sur l'histoire des tours hertziennes permet de se rendre compte à quel point le développement du faisceau hertzien, à travers ses phases de modernisation se reflète dans l'architecture qui devient elle-même le lieu d'une expérimentation conceptuelle et technique.